La leçon de management de la prostituée

 

FAVI est une fonderie implantée à Hallencourt en Picardie maritime (France) située entre la vallée de la Somme et la vallée de la Bresle.  Jean-François Zobrist en prend la direction au début des années 1980 pour faire de l’entreprise au management traditionnel une référence.  Zobrist a maintenant transmis le flambeau à son successeur et passe une bonne partie de son temps à témoigner de son expérience.

FAVI est depuis plus de 30 ans, avec ses quelque 600 collaborateurs, la référence sur ses marchés et est passé à travers toutes les crises alors que la plupart de ses confrères y ont laissé des plumes.  Le succès de l’entreprise est à la limite de l’insolence tant sa croissance est continue.  Les syndicats y sont absents et lorsque les ouvriers sont interrogés sur le sujet, leur réponse est unanime : “ce n’est pas nécessaire puisque nous sommes consultés et impliqués”.

Zobrist a construit la culture et le mode de fonctionnement de l’entreprise sur quelques éléments clés :

  • Une vision d’entreprise claire et partagée pour rassembler tous les collaborateurs de l’entreprise : “Par et pour le client” exprimée dès qu’on entre dans l’usine. Ce pourquoi se décline partout dans l’entreprise : “toujours plus et mieux pour moins cher pour chacun de nos clients à Hallencourt dans le respect de la terre de nos enfants”.
  • Une vision positive de l’Homme : il veut s’investir dans son travail et faire du bon travail.  Cette dimension met en exergue la confiance dans les acteurs de terrain.
  • Une délégation intelligente basée sur un principe Kaizen : c’est celui qui fait qui sait.  Zobrist va permettre aux collaborateurs de prendre des décisions.
  • La possibilité de s’auto-organiser : les secteurs de production sont organisés en mini-usines en fonction des clients servis.  Au sein de chaque mini-usine, le leader est coopté par les membres de l’équipe.  Entre Zobrist au sommet et les responsables des mini-usines, il n’y a plus de ligne hiérarchique.  Les managers sont devenus des experts ou des facilitateurs.
  • Des indicateurs de performance explicites au niveau du terrain : on ne parle pas de réduction des coûts mais bien de réaliser davantage de pièces bonnes par heure payée par exemple.  Ces éléments explicites permettent de travailler en équipe et augmente la solidarité pour améliorer le fonctionnement.
  • La concentration des ressources sur la création de valeur : en se focalisant sur ceux qui créent de la valeur – en priorité les ouvriers – et en rendant l’organisation svelte dans ses structures, Zobrist concentre l’énergie là où elle doit être : faciliter le travail des ouvriers.
  • Un leader éclairé – Zobrist en l’occurrence -, au service de son entreprise, proche des gens – il est régulièrement sur le terrain pour discuter avec les ouvriers –  truculent dans la forme, garant des règles de fonctionnement de l’usine.

Pour susciter l’action du terrain, et illustrer les capacités de communication et de leadership de Jean-François Zobrist, voici le discours qu’il a fait à ses ouvriers à la veille de Noël, à la fin de son tour d’observation lorsqu’il a pris la direction de l’entreprise, pour leur faire prendre conscience des changements qu’il voulait insuffler et le rôle que chacun pouvait assumer dans la transformation de l’entreprise.  Message choc … qui a fait mouche !

Ça fait neuf mois que je suis parmi vous …  Neuf mois que je regarde et que je vois des gens courageux, de grands professionnels qui aiment leur métier, mais qu’on empêche de bien travailler.  Et j’en suis arrivé à la conclusion que des gens comme vous, qui ont des qualités, n’ont pas besoin de carotte, ni de bâton d’ailleurs. La carotte et le bâton sont indignes de professionnels comme vous !  C’est pourquoi, quand vous reprendrez le travail en janvier, les pointeuses seront démontés !  Si par accident, car tout le monde peut avoir un accident, vous arrivez en retard nous regarderons ensemble le pourquoi de ce retard et si c’est, par exemple, le problème de Mobylette, plutôt que de sanctionner, ce qui ne résout pas le problème, on vous aidera à réparer la Mobylette. Il n’y aura plus jamais de pointage ni de chronométrage, car vous n’êtes pas payés pour faire des heures mais pour faire des pièces, et des pièces bonnes !  C’est pourquoi les sonneries seront elles aussi supprimées ! Il n’y aura plus jamais de prime non plus, ce que chacun a depuis deux ans il l’a mérité !  Nous prendrons donc la moyenne de ce que chacun a eu sur ces deux dernières années et nous la mettrons dans le salaire !  Il n’y a pas de voleurs parmi nous, c’est pourquoi la porte du magasin sera démontée … On va mettre quelque part un panneau et un marqueur, et chacun indiquera non pas son nom, car cela n’est d’aucune utilité, mais ce qui a été pris, de façon à pouvoir lancer les commandes de réassort. Il n’y aura plus non plus de distributeurs de boissons payants, mais dans chaque atelier des distributeurs d’eau fraîche avec des sirops et de l’eau chaude avec des dosettes de café et le sucre. Nous allons supprimer les clés à molette et doter chaque machine, d’un lot d’outillage et, de plus, pour que chacun puisse s’équiper comme il l’entend, tous les salariés de l’entreprise vont disposer d’un chèque de 500 francs pour acheter ce que bon leur semble du moment que  cela a un rapport avec le travail.

 Il n’y aura plus jamais de chômage partiel ! Si un jour nous sommes contraints de recourir à de telles mesures, alors je mettrai d’abord les cadres au chômage, nous mangerons tous ensemble ou nous ne mangerons pas !

 Comment allons-nous faire fonctionner l’usine à l’avenir ? À vrai dire, je ne sais pas. Je suis certain que vous méritez que nous fonctionnions autrement, mais je n’ai pas de modèle de remplacement. Je propose que tous ensemble nous faisions en allant,  en gens de bonne foi, de bon sens et bonne volonté ! Il y a bien quelque chose dont on pourrait s’inspirer …   Ce sont les règles de fonctionnement du plus vieux métier du monde : celui de la prostituée ! Si ce métier a traversé des millénaires, c’est qu’il a assurément des principes dont on doit pouvoir s’inspirer.

Le premier principe de fonctionnement de la prostituée est qu’elle se montre ! Si elle reste enfermée dans sa chambre, elle ne se fera pas de client nouveau. Donc, nous allons nous montrer. Nous montrer à nos clients, bien sûr, à nos prospects, à nos familles, à nos amis, au maire, au préfet, bref à tous ceux qui peuvent nous être utiles.

Le deuxième principe de la prostituée est qu’elle se maquille à outrance pour attirer le regard. Eh bien, nous serons de même, nous nettoierons les machines, les peindrons en rouge,  en jaune, en couleurs qui en jettent !

 Son troisième principe de fonctionnement est qu’elle a assurément une ou des spécialités ! On peut en effet penser que si, elle ne fait rien de plus ou de mieux qu’à la maison, chacun reste chez soi. Eh bien, nous ferons de même : nous qui ne faisons que des pièces brutes de fonderie, nous allons essayer de les usiner, de les assembler, de les livrer et, en aval, de les concevoir, de les optimiser, de les tester, et davantage pour nos clients.

 Son quatrième principe, enfin, est qu’elle ne donne pas de maladie à ses clients, car alors elle perd non seulement ses clients, mais aussi les copains de ses clients… Il y a trois maladies dont il faut qu’on se guérisse.

La première est le retard de livraison.  C’est une maladie incontestable : lundi, ce n’est pas  mardi.  Si on a promis quelque chose le lundi, il faut à tout prix tenir cette promesse, sinon il sera impossible de faire croire au client que les choses qui ne se voient pas tout de suite, comme la qualité ou  le prix, sont aussi respectées dans son produit.

La deuxième maladie les entreprises, c’est le prix ! Il est difficile de prouver à un client que nos produits sont au bon prix … comment prouver à nos clients que nos  prix sont bons ?  Je ne vois qu’une seule solution : c’est de ne plus jamais augmenter nos prix de vente ; si nous ne les augmentons pas, alors, forcément, un jour, nous aurons les meilleurs prix de France, et pourquoi pas d’Europe, et du monde !!!

 La troisième et dernière maladie des usines est la non qualité de ce qui est fourni aux clients !  Et là, je n’ai pas de remède miracle ! Mais c’est-vous,  ouvrières et ouvriers qui pouvez tout !  Tout ce qu’on peut faire, nous, dans les bureaux, c’est vous écouter et vous aider, mais retenez bien ceci : c’est vous et vous seuls sur votre machine qui pouvez tout faire … On a beaucoup de pièces qu’on vend 5 Francs.  Quelqu’un coûte 1 Franc de la minute.   Or, sur une pièce très bien vendue, nous avons 10 % de marge soit 0,50 Francs. Autrement dit, si quelqu’un met 30 secondes de trop au cours de la fabrication, ou bien si la pièce passe entre trois mains et que chacun met 10 secondes de trop, eh bien, tout le monde aura travaillé pour rien. En revanche, si quelqu’un trouve une combine pour gagner 10 secondes quelque part, alors tout le monde aura gagné 30 % de marge en plus, ce qui est énorme !  Je vous regarde travailler depuis presque un an, et votre sérieux, votre maîtrise du métier m’ont convaincu que vous aviez entre vos mains les solutions à nos problèmes.

Au-delà du contexte propre à FAVI, l’analogie avec la prostituée est applicable à n’importe quelle organisation et a le mérite d’être particulièrement illustrative.

Lors de la reprise du travail après les fêtes de fin d’année, Zobrist a constaté une augmentation de la productivité de 30 % qui s’est confirmée par la suite.  Le message de Zobrist met l’accent sur les trois nutriments de la motivation : appartenance, compétence et autonomie comme nous l’avons expliqué dans notre article précédent.

Si vous souhaitez découvrir davantage FAVI et son mode de fonctionnement unique, je vous recommande le livre de Jean-François Zobrist : “La belle histoire de FAVI – L’entreprise qui croit que l’Homme est bon“.

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